Les propositions très concrètes d’un expert : Nadji Safir sur comment l’Algérie peut-elle sortir du modèle rentier? Il est ancien chef de département à la Présidence de la République et à l’Institut national des études de stratégie globale (INESG) et actuellement chargé de cours à l’Institut de sociologie de l’université d’Alger, consultant international et membre du conseil scientifique de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo, Paris).
Il s’est prononcé lors d’une interview accordée au quotidien « Liberté » sur les contradictions et surtout les défis auxquelles fait face l’économie algérienne. Selon Algérie Focus (le 6 mars 2016), l’Algérie reste « prisonnière de sa logique rentière », l’économie nationale s’est développée sur la base d’une logique économique totalement dépendante de la rente pétrolière. Délaissant toutes les autres opportunités possibles, les responsables algériens ont toujours veillé à ce que le secteur pétrolier soit valorisé. “Sonatrach, c’est l’Algérie”, ont toujours dit les hauts responsables algériens. Une réalité, un fait, mais un fait dangereux.
C’est ce constat que fait M. Safir. Il a indiqué à ce propos que la société algérienne est “caractérisée par le rôle tout à fait déterminant et relativement durable qu’y joue la logique de la rente”. les chiffres sont là pour le confirmer : « les hydrocarbures (…) sont à l’origine de près de 40% du PIB, de 65% des recettes fiscales de l’État et de 98% des exportations de notre pays, une bénédiction durant les quinze dernières années, une véritable catastrophe aujourd’hui. En effet, la logique rentière basée sur les pétrodollars a eu pour effet néfaste la dévalorisation les logiques d’effort, de travail, de rigueur et de mérite”, indique-t-il sans ambages.
Les contradictions de notre logique économique qui consiste en clair à construire une économie stable sur la base d’une dynamique très volatile et très instable des marchés pétroliers internationaux ont été parfaitement dévoilées au grand jour par la paralysie de notre gouvernement face à une crise qui vient juste de commencer. “L’importance du choc externe qu’est en train de connaître l’économie algérienne montre l’évidente fragilité du modèle rentier » affirme M. Safir en ajoutant que ce modèle “doit absolument être abandonné”.
L’Algérie doit changer de cap et elle n’a nullement le choix : une transition doit être amorcée pour que le pays restaure les valeurs de travail et de mérite garant d’une économie productive et surtout intelligente. L’expert a mis un point particulier à expliquer l’impotence capitale de l’industrie de la « connaissance » qui est selon lui, une composante immatérielle devenue un facteur incontournable de la production.
C’est une transition tridimensionnelle et simultanée que l’expert propose : une transition économique, une transition énergétique et une transition politique. La première doit prendre en compte, comme cela a été précédemment abordé, la nécessité de bâtir une économie solide hors hydrocarbure et que celle-là puisse être concurrentielle dans le cadre de la compétition économique mondiale. Cela dit, cette transition économique demandera selon lui, “beaucoup d’efforts et ne pourra produire d’effets significatifs qu’à moyen terme, au mieux”.
Il s’ensuit après une transition énergétique motivée principalement par trois impératifs et non des moindres : en premier lieu le gouvernement se doit de penser à l’avenir des générations futures, et ce en sauvegardant des réserves suffisantes en hydrocarbures pour ces générations futures. La solution à cette problématique est en même temps une partie de la problématique du deuxième impératif qui est celui des opportunités fournies par les énergies renouvelables notamment le solaire. L’Algérie est selon Nadji Safir concernée de façon directe par le phénomène de réchauffement climatique et l’adoption des énergies renouvelables et non seulement une manière de sauvegarder nos réserves pétrolières, mais aussi une façon de lutter contre ce réchauffement climatique global. « Cette transition énergétique ne doit pas être perçue comme relevant de simples choix techniques, mais avant tout d’une nouvelle vision des rapports que nous entretenons tant avec les générations futures qu’avec la nature ”, a-t-il ajouté.
« Enfin, une transition politique apparaît comme indispensable, dans la mesure où le système politique en place, de par les faibles performances obtenues notamment au plan économique, a clairement montré ses limites en tant que système de sélection des élites et de prise de décision pour les affaires publiques », relève le même expert. Une manière subtile de dire que les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir ont clairement démontré leur inaptitude et leur incapacité à faire face aux problèmes et aux défis de la nation. Nadji Safir affirme à ce sujet que le régime « doit nécessairement évoluer pour pouvoir prendre en charge les diverses aspirations, qui émanent de la société, les nouvelles exigences que dicte l’économie et les profondes mutations qu’impose un monde en constante évolution ».